lundi 31 octobre 2011

Le trou dans l’album: rapports image/texte dans l'album jeunesse

La théorie de l’album jeunesse repose sur l’idée que la signification d’un album est activement construite par le lecteur à partir de la conjonction du texte et de l’image : en gros, dans un bon album, il y a toujours quelque chose qui manque d’un côté et de l’autre, un ‘trou’ que le lecteur remplit de sa propre interprétation grâce à l’alchimie du langage visuel et du langage verbal.

Mais ces deux langages interagissent de différentes manières…

Ma directrice de thèse ayant écrit avec une copine ce qui est devenu depuis la bible de l'analyse de l'album jeunesse dans le monde anglo-saxon (How Picturebooks Work, Nikolajeva & Scott, 2000), je me suis dit que j'allais écrire un petit billet sur ce qu'elles disent des différents rapports texte-image dans l'album jeunesse. Juste comme ça, parce que c'est intéressant. Oui oui.

1) Rapport symétrique ou de répétition

Comme ici dans cette page de Roule Galette, par Caputo et Belvès, un rapport symétrique ou de répétition s’établit quand l’image et le texte ‘disent’ la même chose, ou que le texte en dit beaucoup et que l’image illustre un aspect du texte.


2) Rapport d’augmentation

Dans cette planche de l’un de mes albums préférés, Pétronille et ses 120 petits par Claude Ponti, l’image dépasse de loin le texte en importance, détail et information. Ici le rapport entre texte et image est un rapport d’augmentation : c’est en regardant l’image que l’enfant lecteur augmente sa compréhension de l’album.


3) Le contrepoint

Un contrepoint émerge lorsque l’image nous offre une signification alternative, et la signification de l’album s’en trouve ainsi modifiée. L’image centrale de l’album A calicochon, d’Anthony Browne, offre un exemple parfait de ce phénomène : alors que le billet de la maman parle au sens figuré (‘Vous êtes des cochons’), la patte qui tient le mot nous montre la portée littérale de ce jugement…

Et alors que les garçons et leur père se métamorphosent en cochons, cette transformation n’est jamais mentionnée dans le texte.

4) Rapport de contradiction

Apothéose du rapport texte/image dans l’album jeunesse, la contradiction est créée par un texte et une image qui ne sont pas du tout, mais alors pas du tout d’accord. Jan Pienkowski, dans son livre pop-up ultracélèbre La maison hantée, repose presque entièrement sur cette astuce.


'Non, je n'ai pas beaucoup de visiteurs'

Voilà, fin de cette petite promenade. Il y a des possibilités infinies de relations entre texte et image, et plus on s’éloigne de la simple illustration, plus on se rapproche du graal du médium, l’album jeunesse dit postmoderne, où la signification n’est ni simple ni claire, et où on demande au lecteur de faire la moitié du travail…

dimanche 30 octobre 2011

Extraits gratuits à base de PDF

Vous pouvez désormais lire, gratuitement, des extraits de mes deux romans ado La plume de Marie et Les petites filles top-modèles sur mon site perso. Ca se passe ici pour Marie, et ici pour Diane la top-modèle...

Promis j'arrête l'autopromo et je repasse aux articles normaux cette semaine!

samedi 29 octobre 2011

La plume de Marie à la radio


C'est cet après-midi, à 16h30, sur IdFm Radio Enghein, dans l'émission 'Les mots, des livres!' de Laurence Ducournau, qui avait déjà accueilli Samiha et les fantômes. Cette fois, elle présentera La plume de Marie.

mercredi 26 octobre 2011

Nouveau site

Ca y est, j'ai ENFIN refait mon site internet perso!

Et cette fois, il contient mes deux casquettes: anglaise-universitaire d'un côté, française-auteure jeunesse de l'autre...

Voici le portail!

Sinon, pour accéder directement à mon site français, cliquez ici...

... et pour accéder à mon site anglais, cliquez !

samedi 8 octobre 2011

Faire le deuil du chef-d'oeuvre


J'en ai discuté avec d'autres auteurs et il me semble que c'est LE conseil le plus avisé qu'on puisse donner à un écrivain débutant: Fais le deuil du chef-d'oeuvre. Prends ton temps et tes voilettes, mouche-toi un bon coup, mais fais ton deuil.

Le problème, c'est que les écrivains sont généralement des gens de goût qui aiment profondément la littérature et surtout les chefs-d'oeuvre. Mais ce qui les différencie des autres gens de goût qui aiment profondément la littérature et surtout les chefs-d'oeuvre, c'est qu'ils voudraient bien en écrire eux aussi.

Et c'est là que s'ouvre le gouffre abyssal entre Crime et Châtiment et ton histoire de 150 pages bien fun dans un quartier bobo, ou entre A la croisée des mondes et ton conte pour enfants tout mignon où il y a une fille qui perd sa chaussette droite.

Le souci c'est qu'on vit dans un monde où on essaie de nous convaincre que les chefs-d'oeuvre jaillissent tout faits tels Athéna en armure du crâne génial d'artistes qui le font limite pas exprès. Evidemment, c'est moins médiatique de parler des 19 livres en tous genres écrits et publiés par Philip Pullman AVANT A la croisée des mondes.

La triste vérité c'est que de ceux qui passent 10 ans à planifier un chef-d'oeuvre et encore 10 ans à l'écrire, 99% ne le verront jamais publié (dont un ou deux parce qu'ils se seront pendus avant), et 1% le verra publié et vaguement applaudi par deux intellos. Je ne compte pas J.K. Rowling car chacun sait qu'elle appartient aux sphères divines de l'Absolu.

Les vrais gagnants sont ceux qui papillonnent, qui écrivent ce qui leur tente, en s'essayant à tout et en se disant que c'est déjà pas mal de finir un bouquin: ceux qui ont fait le deuil du chef-d'oeuvre. Il faut (malheureusement ou heureusement) du temps et de l'exercice pour trouver un style et une voix, pour développer son écriture. Il faut se décomplexer: on a le droit de ne pas écrire des chefs-d'oeuvre. On a le droit d'écrire des livres drôles, inconséquents, intéressants, mémorables, magnifiques et adorables qui ne seront jamais au programme du bac.

Bref, il faut faire le deuil de la saga familiale par temps de guerre qui est en fait une réécriture de l'Enéide et réinterprète la morale kantienne subsumée par un réseau de références complexes à Sophocle, Goethe et Cocteau.

Ca ne veut pas dire qu'on n'écrira jamais de chef-d'oeuvre. En fait, on a beaucoup plus de chances d'en écrire un après une vie bien remplie de toutes sortes d'écritures, plutôt que du premier coup comme ça après 35 ans de sang, de sueur et de larmes à griffonner de complexes généalogies dans son grenier.

Personne ne s'attend à ce qu'un mec qui a super bien réfléchi aux aspects techniques et métaphysiques du 100m mais qui a à peine couru de sa vie vienne dépasser Usain Bolt aux prochains Jeux Olympiques. Pareil pour nous. Plus on veut faire un chef-d'oeuvre, plus on se complique la vie; plus on se complique la vie, plus on planifie; plus on planifie, moins on écrit -

Moins on écrit, moins on écrit.

mercredi 5 octobre 2011

Ode à la paralittérature

Ni paranormal ni paradoxal, mais un peu parapluie, le terme de 'paralittérature' englobe tous ces trucs qui ressemblent à des bouquins mais franchement quand on regarde dedans et qu'on est un être cultivé et intellectuel on a envie de se dire que c'est pour la populace.

En d'autres termes: la paralittérature, c'est tout ce qui déborde du 'canon'. Le 'canon', c'est la littérature étudiée par des gens très sérieux à la bibliothèque Sainte-Geneviève.

Le canonique dit Vladimir Nabokov, le paralittéraire répond Isaac Asimov.

Le canonique dit Thomas Mann, le paralittéraire répond Philip Pullman.

Le canonique dit Paul Valéry, le paralittéraire répond Marc Lévy.

Le canonique dit Fédor Dostoïevski, le paralittéraire répond René Goscinny.

Vous saisissez l'idée.

La paralittérature, c'est 99,9% de la chose littéraire, mais elle est examinée par 0,01% des chercheurs en littérature. Le canon est tout petit, mais il est très bien étudié. On en examine à l'heure qu'il est le rouage numéro 450 295 à gauche de l'endroit où quelqu'un a fait une thèse la dernière fois qui portait sur une dimension très contradictoire d'un concept de la taille d'une demi-fourmi.

Côté paralittérature, c'est la fête. On n'est pas grand-monde, mais on s'en donne à coeur joie. Et cet aspect-là? Et cet aspect-là? C'est un peu du n'importe quoi parfois. Mais un jour on réunira tout ça et on fera un grand livre qui dira:

« Voilà ce que la paralittérature peut nous apprendre sur l'humain, sur son envie de lire, d'écrire, d'apprendre, de jouer, de transmettre; sur ses angoisses, ses désirs, ses valeurs, ses croyances, ses constructions du monde ».

Les canoniques nous diront comme d'habitude qu'on est des clowns. Paralittéraires de tous bords, mettons nos nez rouges. C'est en examinant une littérature profondément humaine qu'on parle profondément de l'humain.

Mais bon. Il ne faudrait pas non plus que le paralittéraire devienne canonique. Ca ne serait plus marrant si on n'avait plus personne à embêter.