jeudi 19 avril 2012

Histoires vraies, entre vérité et imposture

Je n'aime pas tellement les fictions autobiographiques ou biographiques. Ou du moins, ça ne me fait ni chaud ni froid qu'une histoire soit 'vraie' ou 'fausse'. Ou plutôt, je sais comme tout le monde qu'une histoire vraie n'est jamais vraie et qu'une histoire fausse n'est jamais fausse. Et aussi, entre parenthèses, que beaucoup d''histoires vraies' sont surtout spectaculairement soporifiques.

Etant donné que ma vie n'est déjà pas super fascinante en tant que telle, je n'ai jamais ressenti le besoin impérieux d'aller ennuyer toute la galaxie avec les interrogations existentielles semi-caféinées d'une jeune fille de la bourgeoisie intellectuelle parisienne incongrument férue de littérature jeunesse. Cela dit, c'est un sujet de débat intéressant: est-ce une plus-value d'écrire des histoires vraies? Peut-on écrire des histoires qui 'sonnent vrai' sur quelque chose que l'on n'a jamais vécu?

Ma réponse à la première question est un ferme 'non', et à la seconde un 'oui' encore plus décidé, mais c'est bien entendu ouvert à toutes les discussions.

Ces questions me viennent parce que je suis en ce moment en train d'écrire un roman pour ados qui est très très très fortement inspiré d'une expérience réelle. En fait, c'est le calque de cette expérience. Enfin non, pas vraiment un calque - un déplacement. Parce que je ne suis pas une ado de 15 ans vivant dans une petite ville de province. Ses sentiments et ses idées ne sont pas les mêmes que les miens. Je dois les adapter, les remodeler. Mais je pense qu'il y a une certaine aisance de l'écriture, une conviction plus grande, moins de tâtonnements, peut-être, quand on transfère de manière aussi intense de 'vraies' impressions dans une oeuvre de fiction.

Cette confortable facilité me laisse à penser que c'est peut-être la raison pour laquelle tant de premiers romans sont semi-autobiographiques.

Il y en a eu un autre. Il y a trois ans, j'ai écrit et illustré un album pour enfants, L'année du homard, qui, je pense, ne verra jamais le jour sous forme de livre publié, car il a été rejeté par suffisamment de maisons d'éditions. Mais tous les commentaires encourageants, voire touchants, me font penser qu'il y a peut-être quelque chose là-dedans qui 'résonne' un peu 'vrai'.

Et pourtant tout est faux: c'est l'histoire d'un monstre qui vient s'installer dans une famille. Dire que c'est vrai est une imposture. Mais dire que c'est faux n'est pas vrai, car je l'ai écrit et illustré en ayant constamment à l'esprit l'année où ma maman a eu un cancer et en a guéri, il y a de cela presque dix ans.

Peut-être que ça en fait un album un peu 'à part' dans ce que j'ai écrit. Mais peut-être pas. Quelqu'un qui n'a pas eu cette expérience aurait très bien pu l'écrire. Et quelqu'un qui a connu ça pourrait très bien dire que ce n'est pas du tout 'la vérité'.

Bref, vu que cet album ne verra jamais le jour dans les librairies, je l'ai mis en ligne et vous pouvez le voir en cliquant ici. (Soyez cool, c'est mon histoire, ne la reproduisez pas sans mon autorisation.)

A vous de voir si c'est une histoire vraie ou fausse.

Et vous, vous écrivez des histoires 'vraies'?

samedi 14 avril 2012

L'exotisme dans le livre jeunesse, un terrain miné

Vous êtes bien installés? Aujourd'hui tata Clémentine va vous parler de ce véritable noeud de vipères qu'est l'exotisme en littérature jeunesse. Oui oui, ça ne saute pas aux yeux, comme ça, mais c'est un thème/ un mode/ un motif particulièrement problématique pour certains critiques. Je n'en fais pas forcément partie, mais je trouve ça intéressant, et vu que la philosophie de ce blog semble être de partager des choses que je trouve intéressantes, eh bien allons-y gaiement.

L'exotisme, il y a plusieurs manières de le définir, mais je vais en choisir une relativement large: c'est la caractéristique des récits qui comprennent des espaces/ personnages/ concepts clairement non-urbains et non-occidentaux; qui mettent en avant des valeurs 'premières' ou archaïques, souvent liées à la nature ou à des rituels traditionnels de petites communautés, à des croyances polythéistes ou animistes; qui présentent un monde idyllique voire édénique, simple, coloré, et innocent.

Des exemples? Vous vous rappelez Fifi Brindacier chez les 'cannibales'? Ou le long récit du naufrage et de l'île des 'sauvages' dans Les vacances de la Comtesse de Ségur? Pas la peine de remonter aussi loin, ni de chercher des scènes aussi clairement impérialistes. Chaque semaine, on publie des albums, des romans et des contes qui se situent dans les mers du Sud ou dans la jungle, qui mettent en scène des petits Indiens ou des petits Eskimos, ou qui racontent des histoires d'amitié poignantes entre enfant et animal/arbre/rocher/arc-en-ciel sous les tropiques ou dans les steppes.

Et alors le Critique Littéraire fronce le nez. Parce que l'exotisme en littérature jeunesse pose deux problèmes:

L'exotisme est tout d'abord le symptôme d'une culture occidentale qui esthétise, glorifie et sacralise les paysages, personnes et traditions du monde qu'elle n'est pas, pour mieux les confisquer, les aliéner, et s'en distinguer. C'est la base de la critique post-coloniale, culminant avec le concept d'orientalisme développé par Edward Said: céder à l'appel de l'exotisme, à ces longues descriptions de senteurs épicées, de tissus bigarrés et de mystérieux regards, c'est s'approprier par la production artistique des cultures, des peuples, des modes de vie dont la profonde complexité est réduite à ce qu'ils ont de tentateur, d'érotique, d'ésotérique et de mystifiant.

L'Autre n'est jamais tant Autre que lorsqu'il est esthétisé, c'est-à-dire chosifié, même si cet exercice s'accompagne souvent d'une apparente reconnaissance d'une 'supériorité' de l'exotique décrit. L'exotisme, que ce soit en littérature jeunesse ou en littérature adulte, est donc souvent considéré comme un instrument de la réification colonialiste propre à l'écriture de l'Occident, qui sous des dehors d'humilité renforce ainsi sa domination symbolique.

Mais la littérature jeunesse ajoute un degré de complexité à cette question déjà ardue de l'exotisme dans l'art. Car comme le soutient Perry Nodelman, il existe déjà dans la littérature jeunesse un exotisme de l'enfance - un orientalisme de l'âge, pour ainsi dire. L'enfant sous le regard de l'adulte qui écrit est déjà cet individu enveloppé de mystère, proche de la nature, détenteur d'un savoir mystique auquel l'adulte prétend parfois s'assujettir. L'enfant de la littérature jeunesse est déjà un sujet érotisé, esthétisé, et par là même expulsé hors de la normativité hégémonique de l'adulte. L'enfant de la littérature jeunesse est toujours-déjà l'exotique de l'adulte.

Et on se retrouve donc avec des livres jeunesse qui, en dépeignant l'enfant dans des contrées 'exotiques', perpétuent une double domination: celle, (néo)colonialiste, d'une vision occidentale du reste du monde, et celle, aetonormative, de l'adulte sur l'enfant.

Evidemment, pas question d'utiliser ce genre d'analyse pour censurer ou s'auto-censurer, et je n'y adhère pas forcément à 100%. Mais c'est une réflexion comme une autre sur ce médium que beaucoup de gens estiment simple, et qui est en réalité extrêmement complexe et parfois problématique.

jeudi 5 avril 2012

Des livres et des couleurs

Une fois n'est pas coutume, je me tourne vers la littérature adulte pour rendre hommage à ces quelques rares livres qui nous parlent en couleurs. Ce sont ces textes qui réussissent à nous rendre synesthètes - où toute l'histoire se vit en glacis et en taches de couleur, dans un psychédélisme narratif à la Petit Bleu et Petit Jaune.

Ce n'est peut-être pas un hasard si une grande partie de ces livres ont trait à l'enfance. Ces livres ont toujours été mes préférés, et quand j'en trouve un qui éveille ce genre d'impressions, je l'ajoute à ma petite liste spéciale couleurs de souvenirs de lecture (des suggestions?). Et dès que j'y pense c'est immédiat: je vois devant mes yeux sa dominante de couleurs, ses teintes et son nuancier, avant même de me souvenir de l'histoire ou des personnages.





Lolita, Vladimir Nabokov. Dominante: corail.










Fermina Marquéz, Valéry Larbaud. Dominante: jaune soleil.












Le blé en herbe, Colette. Dominante: jaune tirant sur le vert.












L'écume des jours, Boris Vian. Dominante: bleu pâle.











Le Grand Meaulnes, Alain-Fournier. Dominante: vert foncé.









Les enfants de minuit
, Salman Rushdie. Dominante: orangé.












Bonjour tristesse, Françoise Sagan. Dominante: turquoise.







Un jour j'écrirai un livre synesthète comme ça. Si jamais j'y arrive. En attendant, je continue ma collection.

mercredi 4 avril 2012

Revue de presse


Vous vous souvenez de notre petit roman politique, On n'a rien vu venir? Eh bien, on n'avait pas vu venir les billets de blog et articles de journal qu'il susciterait! Et quand y en a plus, y en a encore... Voici les mots qu'il a fait naître cette semaine:

Bibliopathe nous dit: Je ne vous cacherai pas que ce roman m’a fait faire un terrible cauchemar mais parfois, c’est nécessaire ! Donc à lire à partir de 10 ans jusqu’à 100 ans. Amis bibliothécaires jeunesse, n’hésitez pas à le commander et à le faire partager.

De son côté, L'amour des livres nous fait sa déclaration: Un roman à 7 voix juste excellentissime !! Que dire pour ne pas trop en dire… J’ai adoré !! On y croit, on se projette totalement dans ses vies qui sont si proches de nous, on se dit “et si jamais…”… On lit le livre d’une traite, l’écriture est si fluide, n’ayez pas peur d’un roman à 7 voix, elles sont accordées, les 7 histoires sont au diapason.

La librairie du Rivage s'enthousiasme... "On n’a rien vu venir", titre d’un autre ouvrage, jeunesse paraît-il mais à lire de toute urgence quand il sera à nouveau disponible (Éditions Alice ! faites des merveilles et rééditez vite )... Livre jeunesse pourquoi pas car, comme Vaclav Havel nous le rappelait , " C’est pour les enfants qu’il faut faire de la politique !"

Et enfin, à La mare aux mots, on nous dit: C’est un peu le roman dont tout le monde parle en ce moment (télé, radio, blogs,…) et à raison ! (pour une fois qu’on parle autant d’un roman de qualité !). C’est forcément d’actualité avec les élections qui approchent et c’est un super livre pour éveiller la conscience politique des ados.

Pour tous les articles depuis le tout début, rendez-vous ici!

On n'a rien vu venir est publié chez Alice et coécrit par Anne-Gaelle Balpe, Sandrine Beau, Annelise Heurtier, Agnès Laroche, Fanny Robin et Séverine Vidal. Et moimem aussi.