mercredi 6 mars 2013

P comme Paratexte



Le paratexte - mot créé par Gérard Genette dans les années 80 - c'est tout ce qui, dans un livre, n'est pas l'histoire. Couv', titre, quatrième de couv', informations sur l'éditeur, dédicace de l'auteur, bandeau, etc.

Et alors, quel intérêt?

Eh bien, en littérature jeunesse plus que dans n'importe quelle autre littérature... un intérêt énorme.

Car comme l'a montré Genette pour la littérature adulte, le paratexte, ce 'seuil' de la lecture, est aussi un préparateur et un accompagnateur de la lecture. Il conditionne, en d'autres termes, l'approche du récit par le lecteur - adulte ou enfant.

Or, le paratexte en littérature jeunesse, surtout dans les albums, est infiniment exploitable et exploité: et il est une continuation de l'expérience de lecture, recelant parfois des messages qui ajoutent de manière significative à cette expérience.

Le paratexte est d'abord une plate-forme expérimentale, libre et déjantée, un espace 'gratuit' du livre que l'auteur/ illustrateur peut coloniser. Tout le monde connaît les signatures de Franquin...

... à tel point que d'audacieux designers les commercialisent maintenant sous forme de statuettes (!). Ces signatures, dans les Lagaffe, ne font pas partie de l'histoire, mais ont toujours un rapport avec elle - comme un écho du récit passé, comme un dernier au-revoir pour clore le strip après la case finale.

Et puis il y a bien sûr Ponti, qui ne laisse jamais les codes-barres tranquilles:

Sur l'île des Zertes

Je ne pense pas que le marteau puisse grand-chose contre le prix ahurissant des albums de l'Ecole des loisirs, mais on peut toujours rêver. Là encore, cette quatrième de couverture ne fait pas à proprement parler partie de l'histoire; mais elle crée une surprise, un 'bonus', un dernier rire pour l'enfant et l'adulte qui referment le livre - et entérine l'idée qu'un livre, c'est une oeuvre complète, ce n'est pas seulement un récit. 

Les paratextes sont en effet souvent un moyen d'engager une réflexion métatextuelle, c'est-à-dire sur l'oeuvre elle-même et sur ses processus de création: ses moyens de production, son écriture et son illustration, sa distribution. A travers le paratexte tout devient prétexte à une mise en évidence du livre comme tout, comme objet culturel, dont l'histoire n'est pas indépendante, mais façonnée par la matérialité du livre.

Le paratexte va aussi, souvent, ajouter du contenu à l'histoire ou la nuancer, mais de manière optionnelle et donc libre. On a bien sûr les fameuses dédicaces des auteurs, qui quand elles ne disent pas seulement 'à mon chien Boubou' peuvent brouiller les limites entre texte et paratexte...

La grande collection, Séverine Vidal, ill. Delphine Vaute
Evidemment, vu que c'est pas-encore-l'histoire, on peut dire 'pouce', on peut ne pas prendre en compte ces quelques vers de chanson de Loïc Lantoine posés là par Séverine Vidal. Mais si on choisit de les lire, de les intégrer à notre lecture, alors notre vision de l'album va s'en trouver changée, enrichie, peut-être, par ces petites phrases qui sont là comme si de rien n'était.



Et on pourrait écrire un livre entier sur les pages de garde des albums jeunesse, qui sont d'une importance cruciale - elles qui encadrent le récit de part et d'autre, pour lui donner parfois un sens nouveau ou caché. Les pages de garde du Tunnel, d'Anthony Browne, sont un modèle en la matière - je n'ai pas le bouquin ici donc je ne peux pas les scanner, mais je vous invite à aller le feuilleter sur Amazon (du moment que vous l'achetez ensuite en vraie librairie). La double page de garde qui ouvre le récit montre à gauche le livre de la petite soeur sur fond de tapisserie, et à droite un froid mur de briques, espace du frère. Après l'histoire, qui raconte la réconciliation entre frère et soeur, la double page de garde qui ferme le récit montre les deux mêmes fonds, mais cette fois le livre de la soeur et le ballon de foot du frère sont l'un auprès de l'autre, sur fond de briques rouges. Les pages de garde réitèrent discrètement et symboliquement le parcours des personnages.

Dans Véro en mai, superbe album semi-fictionnel, semi-informatif sur mai 68 écrit par Pascale Bouchié et illustré par Yvan Pommaux, les pages de garde sont recouvertes de slogans de l'époque sous forme de graffiti:



L'histoire n'a pas encore commencé ou vient de se terminer, mais ces pages de garde nous préviennent: la révolte a déjà commencé à gronder, et elle continuera après la fin de l'histoire...

Ca, évidemment, c'est pour les paratextes à forte valeur ajoutée - pour les auteurs, illustrateurs et éditeurs qui savent que c'est un espace ludique, d'aventure, de liberté. Mais même pour les autres, l'étude du paratexte peut nous apprendre beaucoup sur les types de lecture du texte 'recommandés' par le livre lui-même, et les impératifs commerciaux des livres pour enfants. Car bien sûr, c'est le paratexte, spécifiquement la couverture et la quatrième de couverture, qui sélectionne les lecteurs prioritaires du texte.

Car qui pourrait croire, si je vous cachais le titre, qu'il s'agit de la même histoire d'après les 3 couvertures suivantes? Une chose est sûre, elle ne s'adresse pas au même lectorat:




Il y aurait dix mille choses à analyser dans ces 'rebrandings' successifs de Fantômette, mais je vous laisse faire, parce que comme d'hab j'ai écrit trois kilomètres et j'ai aussi une thèse à finir dans mes moments de creux entre deux billets de blog.

Une réflexion finale cependant: qu'arrive-t-il au paratexte quand le livre électronique ou l'application pour tablettes débarque? Plus besoin de couverture, de code-barres, de pages de garde... Tous ces espaces paratextuels requis par la réalité matérielle du livre deviennent inutiles. Certaines applications choisissent quand même, comme par tradition, de les conserver. D'autres s'en débarrassent, pariant sur les ajouts multimédia à l'histoire pour trouver de nouveaux 'seuils' de lecture. C'est en tous cas l'une des pistes de recherche pour l'analyse des livres électroniques pour la jeunesse.

Allez, à vendredi! Où l'on passera au Q, comme Queer!

4 commentaires:

  1. c'est si bon par ici... si malin.

    Merci de m'avoir intégrée à ta réflexion,
    je soigne toujours mes dédicaces, je suis contente qu'une personne ait lu celle-ci ;)
    Et Genette, ahhhhh Genette... la narrateur extradiégétique, cétait lui, non ?

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    1. ah possible! c'est le roi du jargon. Là encore je parle seulement de paratexte, mais lui il distingue paratexte, péritexte, épitexte, paratexte éditorial, paratexte autorial... woohoo

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  2. Mais ce cher GG n'est pas du tout prise de tête, il est même drôle souvent. Ce sont ses commentateurs qui n'en ont retenu que le jargon chiant, comme pour Barthes et plein d'autres...

    Super article, sur un sujet qui m'est particulièrement cher. Dans le cadre des contes, c'est quasi le paratexte qui fonde le genre. Je ferai une note aussi un de ces 4 sur ce sujet.

    Des bises ;-)

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  3. Le paratexte se fait aussi engagé, comme par exemple sur la 4èem de couv des romans de la joie de lire: en gros, ça dit chaque lecteur est unique, vous savez pas à partir de quel âge ce roman s'adresse, demandez à votre libraire.
    J'aime bien aussi les "Achevés d'imprimer" dans les romans de chez Thierry Magnier. Il y a toujours un clin d'oeil au sujet abordé dans le livre (et chut j'ai copié ça sur sous un pissenlit lorsque je mets un lien vers ruedeslibraires)

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