dimanche 29 novembre 2015

Avec et sans vous

Pour des raisons évidentes, je n'ai pas posté le deuxième billet sur les passions de l'âme le dimanche après les attentats - on avait d'autres choses à faire que de pleurer sur le sort d'auteurs/illustrateurs jeunesse ce jour-là - et puis je n'étais toujours pas super motivée pour le poster dimanche dernier. Comme cette fin d'année va être un peu particulière pour moi, entre déménagement, nouveau boulot et écriture, je reprendrai sans doute la série en janvier 2016.

En attendant, comme tout le monde, je continue à digérer l'après du 13 novembre. C'est étrange d'observer tout ça depuis ma campagne anglaise, ma tranquille ville médiévale, où la plus grande menace reste de se recevoir une gargouille sur la tête par grand vent. Encore une fois, comme pour Charlie, j'ai eu l'impression d'être avec vous, mais sans vous: je n'étais pas là au pire des moments, je n'ai rien partagé, ou si peu, avec vous. Du coup je me suis endeuillée toute seule devant mon ordinateur.

Heureusement, il y a Facebook, il ne faut pas avoir honte de le dire: pour les Français de l'étranger Facebook a été une vraie bénédiction cette année. Grâce aux réseaux sociaux on a eu quand même un peu eu l'impression d'être là-bas. Mais ça reste imparfait, immatériel. On voit et on lit mais on ne vit pas vraiment les événements. Du coup, gros désir de retourner 'au pays': avec mes collègues français ici, on s'est dit beaucoup ça, ces jours-là: on voudrait être à Paris. Et on s'est beaucoup retrouvés entre nous. Expérience commune à tous: la distraction constante, l'incapacité à se concentrer, qui n'est évidemment pas reflétée par nos collègues - les Anglais ont été absolument adorables et on a reçu des dizaines de messages, mais évidemment ça les touche moins que nous. Du coup, on a vécu très au ralenti ces dernières semaines.

Quelques nouvelles tout de même. Cette semaine, j'ai pu rentrer très brièvement à Paris - moins d'un jour - pour être présente à la remise du prix qu'a reçu Les petites reines, élu meilleur livre jeunesse de 2015 du magazine Lire. Je suis évidemment très très flattée de cette distinction, dont j'ai dit dans mon discours que je la partageais avec Tibo Bérard, mon éditeur, et Anaïs Malherbe, attachée communication/ presse, qui ont tellement fait pour que ce livre cycliste sorte du peloton... Je l'ai aussi dédiée à Bourg-en-Bresse, et je remercie ici les nombreuses personnes qui m'ont écrit depuis cette ville. J'en profite pour répondre aux 2 questions les plus fréquentes:

1) Le lycée Marie-Darrieussecq n'est ni le lycée Lalande ni le lycée Quinet. C'est un lycée imaginaire. Je ne veux pas faire de jaloux...
2) Oui, le restaurant Georges & Georgette est à l'emplacement de l'Auberge Bressane!
Comprendra qui connaît...

Je suis déjà en mesure de vous dire que je suis en train d'écrire un Exprim' suivant, mais il est un peu tôt pour trop en dire. Non, ce n'est pas une suite des Petites reines. Ca ne pourrait pas être plus différent...

Je serai re-de-retour à Paris la semaine prochaine pour le salon de Montreuil. Je dédicacerai le samedi de 10h à 12h chez Hachette, et le samedi et dimanche de 14h à 16h chez Sarbacane.

Et ensuite, ce sera le déménagement pour le grand Nord: j'ai trouvé une grande et jolie maison à York, où je commence un poste de maître de confs en janvier. Décembre très animé, donc, et où j'ai l'impression plus que jamais de ne plus faire que des passages express en France.

Sachez donc qu'on pense beaucoup à vous (à... nous), nous Français/es de l'étranger, malgré ce qui nous retient ailleurs - et la gentillesse et l'accueil de nos pays d'adoption. Que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur des frontières, je nous souhaite à tous un chemin vers Noël calme, pacifié, plus doux et plus affectueux que d'habitude peut-être, et confiant et responsable vis-à-vis de notre avenir commun.


samedi 7 novembre 2015

Les passions de l'âme - L'identité

J’inaugure une petite série spéciale - après l’abécédaire il y a déjà quelques années, et les excuses il y a encore plus d’années - de billets de blog autour d’un même thème. Le terme est un peu grandiloquent, mais je vais essayer de parler avec sérieux, et surtout avec le plus de simplicité possible, de ce que je vois comme des ‘passions de l’âme’ des auteurs - ces questions vaguement philosophisantes qui nous trottent dans la tête quand on pense à ce qu’on fait. Auteurs/illustrateurs jeunesse en particulier bien sûr, mais certaines ‘passions’ seront sans doute plus généralement applicables.

Je vous donne donc rendez-vous une fois par semaine le dimanche, et aujourd’hui on commence avec la question de l’identité.


promis ça va pas être trop prise de tête

Qu’est-ce que notre identité d’auteur ou d’artiste? A première vue, une identité, c’est ce qui nous fait ‘nous’, et qui ‘ne change pas’, qui reste ‘le même’ ou ‘pareil’ (l’origine du mot). Dans notre rayon - la création - c’est donc d’abord un terme qui pourrait sembler interchangeable avec la notion de ‘plume’ ou de ‘style’; on parle souvent de ‘l’identité graphique’ d’un illustrateur. Ce serait donc le ‘grain’, la ‘voix’ - cette propriété de nos textes ou de nos images que l’on estime unique à soi, et qui fait qu’on nous reconnaît, plus ou moins aisément, rien qu’en nous lisant.

‘On nous reconnaît’ - déjà je suis passée de quelque chose d’intime et d’intérieur (‘mon’ identité, je devrais en être la maîtresse) à quelque chose que l’on regarde, que l’on fixe, peut-être, de l’extérieur. Et c’est vrai que l’identité d’un créateur est en grande partie formée par le regard, critique ou bienveillant, des autres. Le problème, bien sûr, c’est que - d’autant plus en littérature jeunesse - cette identité graphique ou textuelle va devoir s’accommoder des exigences d’un marché, de nombreux ‘gardiens’ ou médiateurs, et bien entendu des lecteurs.
identité de R L Stine façon warhol

‘Mon’ identité d’auteur n’est jamais totalement la mienne. Elle est forgée à la fois directement et indirectement: directement à travers, par exemple, des requêtes éditoriales (ralentis le rythme; on veut quelque chose de drôle; tu utilises trop d’adjectifs); indirectement à travers, par exemple, notre réaction aux succès et aux échecs (ça, ça a marché la dernière fois, je vais le refaire). L’identité n’est pas quelque chose qui jaillit librement de mon for intérieur; ce n’est pas l’expression pure de mon âme; c’est une propriété médiée et influencée par de nombreux agents. D’ailleurs, je peux (et je dois) la contrôler et la modeler: on dit souvent dans le métier ‘construire’, ‘développer’ ou ‘trouver’ son identité. 


L’identité d’un auteur, je pense, est soumise à deux mouvements contradictoires. D’un côté, il y a un conservatisme intrinsèque à la ‘construction’ d’une identité. Pour peu qu’on ait développé son identité à partir d’un ou deux livres ayant très bien marché, il peut arriver qu’on se voie défini - identifié - de manière assez rigide: c’est l’auteur drôle/ politique/ qui traite de sujets de société/ qui a un vrai sens de la formule, etc. Cela se traduit souvent par des phrases du type: ‘Untel est doué pour rendre l’atmosphère des lieux’, ‘Bidule a un style très poétique’, etc.: des phrases qui nous solidifient autant qu’elles nous complimentent. Cette identité peut très bien nous convenir… Mais rien qu’en disant ‘mon identité me convient’, j’admets déjà qu’il est possible qu’elle ne nous convienne pas - qu’on ne soit pas à l’aise dans cette identification. Plaquée de l’extérieur, et peut-être - selon nous - un peu par hasard, notre identité devient pour nous une ‘étiquette’.

example d'étiquette


Donc il y a un deuxième mouvement, qui peut être en réaction au premier, et qui est celui de l’auteur qui cherche à se reconstruire ou se réinventer une identité; ou alors, à constamment évoluer, à n’être pas reconnaissable d’une création à l’autre. On devient l’auteur ‘qui est toujours là où on ne l’attend pas’ (ce qui est, paradoxalement, aussi une sorte d’identité…). Ca peut être très bien, mais je ne pense pas que ce soit satisfaisant non plus. Parce qu’on aspire toujours secrètement à une sorte de continuité; on voudrait quand même être reconnu d’une manière ou d’une autre. Ces mouvements erratiques d’un style à un autre et d’un genre à un autre, ce désir d’échapper aux ‘étiquettes’, de ne jamais ‘se ressembler’, peuvent devenir un moyen de fuir ou de trahir son identité.

Il faut se rappeler, je pense, si on est angoissé par l’idée d’être ‘étiqueté’, que l’identité, même imposée de l’extérieur, est en réalité difficile à définir. On peut identifier facilement quelqu’un sans pouvoir dire exactement pourquoi. Je n’ai aucun mal à identifier une illustration de Quentin Blake. Pourtant, je ne pourrais pas en écrire une ‘carte d’identité’. Je parlerais de traits zigzagants, de l’aquarelle qui déborde, du mouvement, des cheveux en pagaille… Mais cette ‘identification’ n’est qu’un portrait-robot, qui pourrait aussi pointer, par exemple, vers Tony Ross. Il reste dans ‘l’identité’ d’un auteur ou d’un illustrateur quelque chose de nécessairement mystérieux, d’indéfinissable ou d’indescriptible; de l’ordre du sensible au-delà du commercial.

L’identité d’un créateur, d’autant plus en littérature jeunesse, je pense, est angoissante parce qu’elle ne nous appartient pas entièrement - elle nous appartient parfois très peu. Nous refusons d’être définis durablement par ce que quelques livres, et les aléas de l’édition, nous ont amenés à caractériser comme notre ‘identité’. Et en même temps, nous souhaitons que nos livrent reflètent quelque chose de ‘nous’ qui soit durable et unique. Nous avons peur qu’elle nous limite, et elle nous semble souvent imposée de l’extérieur; mais en même temps nous voudrions qu’on puisse nous identifier par notre ‘patte’.


une manière d'être identifié rapidement

Le problème de l’identité de la création est le même que celui de l’identité tout court: nous oscillons entre peur de ne pas nous y reconnaître nous-mêmes, et désir d’être reconnu à travers elle. Nous voudrions que nos livres nous confirment qui nous sommes ‘vraiment’, mais nous avons le plus souvent l’impression qu’ils ne nous représentent que très imparfaitement.

Il faut se résigner à considérer notre ‘identité’ de créateur non pas comme l’expression pure d’un moi profond, qui est de toute façon un mythe, mais plutôt accepter - voire célébrer - le fait qu’elle est toujours une propriété négociée entre nous-mêmes et notre audience.

lundi 2 novembre 2015

Tribune de la Charte

Je rentre tout juste de 2 semaines de, euh, vacances (oui oui ça arrive ces choses-là, arrête de juger, toi, au fond), sans internet ou presque (joie! angoisse! terreur!), et il s'est passé, évidemment, cinq milliards de choses dont je vous entretiendrai un jour ou l'autre. En attendant, voici le lien du jour: j'ai fait scribe du mois pour la Tribune de la Charte, super initiative lancée il y a quelques mois par la Charte. Carole Trébor, je te remercie infiniment pour m'avoir proposé la plate-forme de novembre.

Ca se passe là et c'est sur la double injonction de l'auteur jeunesse, c'est-à-dire le paradoxe de se voir dire à la fois que notre travail est médiocre et sacré.

à bientôt

Clémentine